LE MONDE | 01.12.05 |
Ils ont claqué la porte de la préfecture de Lorraine, à Metz (Moselle), où se tenait lundi 28 novembre une ultime réunion de la Conférence interdépartementale sur les conséquences de l'arrêt de l'activité minière (CIAM). Puis, sac au dos et armés de cordage, les huit élus des anciennes cités ouvrières sont descendus dans l'ancienne mine de Fontoy, à 150 mètres sous terre, au coeur de ce bassin ferrifère désaffecté qui relie la vallée de la Fensch au Pays-Haut. Leur escapade les a conduits jusque dans la salle des machines, qui, à leur grand désespoir, s'arrêteront bientôt de pomper les eaux naturelles qui inondent les galeries. Après un siècle d'extraction de la minette (minerai de fer) et plusieurs années d'abandon, le bassin est devenu un véritable gruyère. On les retrouve quelques heures plus tard à la surface, sur le carreau Saint-Michel d'Audun-le-Tiche, pas mécontents du mauvais tour qu'ils viennent de jouer aux autorités, et en même temps très en colère. "Nous sommes allés voir au fond, aucun des arguments avancés par l'administration ne tient la route", lance André Weiler, maire d'Aumetz.La fin de l'exhaure (pompage des eaux souterraines) et l'ennoyage des anciennes mines de fer du bassin nord lorrain, maintenues en l'état depuis plusieurs années par l'ancien concessionnaire, le groupe sidérurgique luxembourgeois Arbed (aujourd'hui Arcelor), ont commencé jeudi 1er décembre à 0 heure. Au grand dam de la population locale, qui redoute que cette mesure ne provoque de nouveaux affaissements miniers tels que ceux qu'avaient connus les habitants d'Auboué, Moyeuvre et Moutiers quelques mois seulement après l'ennoyage des mines du bassin sud, entre 1996 et 1998. A Auboué, ce 15 octobre 1996, le sol s'était brutalement lézardé. Médusés, les riverains regardaient les trottoirs se soulever et l'asphalte de la route éclater. Sous terre, les galeries venaient subitement de s'effondrer tandis qu'à la surface 80 familles étaient contraintes d'abandonner leurs maisons à la hâte.
"Pour le bassin nord, toutes les précautions ont été prises", jure le préfet de Lorraine, Bernard Hagelsteen, qui parle de ce "dossier" comme "le plus difficile" qu'il ait eu à "traiter". Expertises et contre-expertises, études de risque de mouvements de terrain, surveillance des galeries... L'Etat s'occupe de tout. Avec un argument massue : la poursuite de l'exhaure aurait eu un coût "exorbitant". Le pompage a coûté cette année 7 millions d'euros, pour un peu moins de 40 millions de mètres cubes évacués. Sa poursuite aurait nécessité 21 millions d'euros de travaux, plus 4 millions d'euros pour le fonctionnement annuel. Autre solution avancée, le comblement des cavités — 200 000 mètres cubes sur la seule zone de Fontoy — aurait impliqué un "investissement minimum de 37 à 40 millions d'euros", selon le préfet. Alors que le coût de l'expropriation des 17 familles de la "zone à risque d'affaissement brutal" de Fontoy, la seule de ce type dans ce bassin de neuf communes et de 20 000 habitants, est estimé à 7 millions d'euros. D'autres secteurs présentent des configurations géologiques inquiétantes : Ottange, Tressange, Aumetz et Audun-le-Tiche... "L'effet d'ennoyage ne peut être modélisé ni prédit de manière certaine", reconnaissent les experts du cabinet Géodéris. Cette incertitude paralyse le développement urbain des communes concernées, où de nombreux permis de construire sont gelés au nom du principe de précaution.
Alors que les associations de défense dénoncent la "logique purement financière" de l'Etat, les dernières familles expropriées de la rue de Longwy, à Fontoy, terminent de plier bagage. "La mine m'a déjà pris un frère, voici qu'elle me prend ma maison", s'indigne Marguerite, 72 ans, qui vivait au numéro 61. Grâce à l'indemnisation des Domaines, elle et son mari vont partir s'installer sous le soleil du Var. D'autres ont réservé un lot au lotissement que la commune a créé en contrebas, avec le soutien de l'Etat.
Nicolas Bastuck